Guide CSE : Comité Social et Économique – Site dédié aux élus

Accueil / Droit du travail / Contestation de licenciement et harcèlement : découvrez les nouvelles règles sur l’admissibilité des preuves déloyales.

Contestation de licenciement et harcèlement : découvrez les nouvelles règles sur l’admissibilité des preuves déloyales.

Contestation de Licenciement et Harcèlement : Découvrez les Nouvelles Règles sur l’Admissibilité des Preuves Déloyales. La Cour de Cassation a récemment élargi les conditions pour utiliser des enregistrements clandestins, mais les restrictions demeurent strictes. Explorez les implications à travers trois affaires récentes, mettant en lumière des enregistrements secrets dans des cas de licenciements disciplinaires et de harcèlement moral. Décryptage des critères du juge, des notions de nécessité, de légitimité et de proportionnalité, pour comprendre la recevabilté des preuves illicites ou déloyales dans le contentieux prud’homal. Une lecture incontournable pour salariés, employeurs et représentants du personnel.

enregistrement illicite

Le 22 décembre dernier, la Cour de cassation a pris une décision importante en acceptant l’utilisation d’une preuve jugée déloyale lors d’un procès prud’homal concernant deux cas de licenciements disciplinaires. Le 17 janvier , la chambre sociale de la Cour de cassation, dans le contexte d’une affaire de harcèlement moral, a jugé non recevable l’utilisation d’un enregistrement clandestin d’une réunion de CHSCT.
Nous examinons ces trois affaires pour comprendre dans quelles situations une preuve considérée comme illicite ou déloyale, telle que des enregistrements clandestins, peut être admise dans un litige impliquant un employé ou un représentant du personnel et son employeur.

Qu’est-ce qu’une preuve illicite et déloyale?

Une preuve déloyale est obtenue à l’insu d’une personne grâce à une manœuvre ou à un stratagème (par exemple, en enregistrant une conversation téléphonique, un SMS ou un message vocal sans informer la personne).

Une preuve illicite provient d’un dispositif illicite, comme, par exemple, un enregistrement issu d’un système de vidéosurveillance mis en place sans consultation du CSE.

En matière pénale, le procès est régi par le principe de la liberté de la preuve. Ainsi, dans ce cadre, la preuve déloyale est recevable (Cass. crim. 11-6-2002 n° 01-85.559 P). En effet, tenant compte de la difficulté à démontrer certaines discriminations, la Cour de cassation a admis qu’une opération de “testing” organisée par une association de lutte contre le racisme puisse valablement démontrer les pratiques discriminatoires à l’entrée d’une discothèque et permettre la condamnation de son exploitant.

Et même si en matière civile, et donc prud’homale, la preuve est libre, la Cour de cassation exigeait traditionnellement que la preuve soit licite et loyale et rejetait donc systématiquement les preuves illicites ou obtenues de manière déloyale. Cette irrecevabilité avait même fait l’objet d’un arrêt en assemblée plénière le 7 janvier 2011 : « l’enregistrement d’une communication téléphonique réalisé à l’insu de l’auteur des propos tenus constitue un procédé déloyal rendant irrecevable sa production à titre de preuve » (Cass. ass. plén. 7-1-2011 n° 09-14.316 et 09-14.667 PBRI).

Cependant, tout cela a changé depuis le 22 décembre 2023.

Quand les juges suprêmes autorisent les preuves déloyales en cas de licenciement disciplinaire

La Cour de cassation a changé d’avis récemment. Elle a décidé que même si une preuve a été obtenue ou présentée de manière déloyale, cela ne signifie pas automatiquement qu’elle doit être exclue des discussions. Cela marque un changement important dans la position des juges suprêmes (Cass. ass. plén. 22-12-2023 no 20-20.648 BR).

La Haute Cour s’aligne ainsi sur la jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) et pose les conditions à étudier pour sa recevabilité :

« Dans un procès civil, l’illicéité ou la déloyauté dans l’obtention ou la production d’un moyen de preuve ne conduit pas nécessairement à l’écarter des débats. Le juge doit, lorsque cela lui est demandé, apprécier si une telle preuve porte une atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit à la preuve et les droits antinomiques en présence, le droit à la preuve pouvant justifier la production d’éléments portant atteinte à d’autres droits à condition que cette production soit indispensable à son exercice et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi ».

Dans son communiqué arrêts du 22.12.2013, la Cour de cassation prend soin de préciser le contexte dans lequel elle forge cette nouvelle appréciation : “les nouvelles technologies ouvrent aux justiciables des perspectives supplémentaires sur la façon de rapporter la preuve de leurs droits, mais elles présentent aussi des risques inédits d’atteintes à des droits fondamentaux (vie privée, secret professionnel etc.)“.

Ainsi, quand un juge est confronté à une preuve illicite ou déloyale, son office doit consister à apprécier, lorsque cela lui est demandé, si elle porte une atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit à la preuve et les droits et intérêts de toutes les parties en présence. Le droit à la preuve peut alors justifier la production d’éléments portant atteinte à d’autres droits, notamment celui du respect de la vie privée, à condition que cette production soit indispensable à son exercice et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi.

Quand l’employeur contre-attaque : un enregistrement explosif au cœur d’un licenciement pour faute grave

Dans une première affaire, c’est l’employeur qui produisait un enregistrement d’un entretien avec un responsable commercial “grands comptes” pour justifier d’un licenciement pour faute grave. Dans cette conversation enregistrée à l’insu du salarié, ce dernier avait expressément confirmé avoir refuser de fournir à son employeur le suivi de son activité commerciale.

La Cour de cassation casse l’arrêt d’appel qui avait écarté l’enregistrement clandestin et renvoie l’affaire devant une autre cour d’appel.

« Celle-ci devra vérifier d’une part, que les enregistrements étaient indispensables pour prouver la faute grave du salarié, d’autre part, que l’utilisation de ces enregistrements réalisés à l’insu du salarié ne portent pas une atteinte disproportionnée à ses droits fondamentaux. » 

Révélations sur Facebook : quand un remplaçant découvre des allégations explosives sur une promotion et des soupçons d’orientation sexuelle

Dans la seconde affaire, en l’absence d’un salarié, son remplaçant avait découvert sur son compte Facebook, resté accessible sur son ordinateur professionnel, une conversation avec une autre salariée de l’entreprise selon laquelle le salarié absent sous-entendait que la promotion dont avait bénéficié l’intérimaire était liée à son orientation sexuelle et à celle de son supérieur hiérarchique.

Le salarié intérimaire avait alors transmis cet échange à l’employeur qui avait déclenché une procédure disciplinaire aboutissant à un licenciement du salarié pour faute grave, en raison des propos insultants tenus, lors de cet échange électronique, à l’encontre de son supérieur hiérarchique et de son remplaçant.

Dans cette affaire, l’Assemblée plénière refuse à l’employeur le droit de pouvoir produire cet élément comme preuve d’une faute grave justifiant le licenciement du salarié.

Les juges rappellent une jurisprudence constante selon laquelle “un motif tiré de la vie personnelle du salarié ne peut justifier, en principe, un licenciement disciplinaire, sauf s’il constitue un manquement de l’intéressé à une obligation découlant de son contrat de travail“, ce qui n’était pas le cas en l’espèce. Autrement dit, la Cour d’Appel aurait dû apprécier la pertinence des faits motivant le licenciement (propos tenus dans le cadre d’une conversation privée) avant d’examiner la recevabilité de la preuve apportée par l’employeur.

Il aurait pu en être autrement si le salarié avait révélé une information confidentielle ou un secret d’affaires.

Licenciements disciplinaires : focus sur les enregistrements illicites pour dénoncer un harcèlement

Dans l’affaire jugée le 17 janvier 2024 (Cass. soc. 17 janvier 2024 no 22-17.47460 F-B), un salarié qui s’estimait victime de harcèlement moral avait demandé la résiliation judiciaire de son contrat de travail.  A l’appui de sa demande, pour établir les agissements de harcèlement moral à son encontre, il avait produit l’enregistrement clandestin d’un entretien avec les membres du CHSCT (remplacé, depuis, par le CSE).

La chambre sociale de la Cour de cassation reprend l’attendu de principe de l’assemblée plénière et l’applique pour juger l’enregistrement irrecevable en confirmant l’arrêt de la Cour d’appel.

Les juges confrontent et pèsent les droits de chaque partie en présence pour estimer que la production de l’enregistrement n’était pas indispensable au soutien de la demande du salarié.

Selon la Cour, les autres éléments de preuve qu’il avait produits permettaient déjà de laisser supposer l’existence du harcèlement moral. Ils ressortaient d’une enquête des représentants du personnel après le déclenchement d’un droit d’alerte pour danger grave et imminent, enquête au cours de laquelle le médecin du travail et l’inspecteur du travail avait été associés. L’enquête avait pourtant écarté l’existence de telles pratiques de harcèlement moral. Le salarié avait alors enregistré un entretien avec les membres du CHSCT destiné à discréditer leur rapport d’enquête en mettant en avant des « comptes-rendus très incomplets » de l’instance, voire l’existence d’une « collusion entre l’employeur et le CHSCT ».

Tenant compte des écrits du médecin du travail et de l’inspecteur du travail, les magistrats suprêmes jugent que la production par le salarié de l’enregistrement clandestin des membres du CHSCT n’était donc pas indispensable au soutien de ses demandes et devait ainsi être écarté des débats.

Les conditions pour admettre les preuves illicites ou déloyales

Ainsi donc, si l’assemblée plénière de la Cour de cassation a ouvert la voie à l’admissibilité des preuves obtenues de manière illicite ou déloyale, elle l’a encadrée dans des conditions strictes laissées à l’appréciation du juge tenant au caractère indispensable et proportionné au but poursuivi de ces preuves.

La preuve doit être indispensable

La preuve est indispensable si les autres éléments éventuellement apportés au débat ne sont pas suffisants pour établir la réalité des faits.

Il faut ici prendre en compte la particularité du régime de la preuve dans le cadre du harcèlement moral : le salarié ne doit pas apporter la preuve du harcèlement, mais « seulement » établir des faits laissant supposer l’existence d’un tel harcèlement. L’employeur doit ensuite prouver que ces faits sont étrangers au harcèlement.

Cette charge de la preuve s’applique de manière identique dans le cadre de demande de reconnaissance d’existence d’une discrimination.

La chambre sociale de la Cour de cassation indique clairement qu’elle n’entend pas admettre ce type de preuve qu’avec beaucoup de rigueur : la preuve ne doit pas seulement être nécessaire, elle doit être indispensable, la seule à pouvoir permettre de prouver les faits, et ce, à la demande expresse d’une partie.

Le Défenseur des droits avait invité à « mener un travail sur la recevabilité devant le juge civil des enregistrements clandestins en matière de harcèlement sexuel et plus largement en matière de harcèlement discriminatoire. » (cf recommandations et propositions du Défenseur des droits juin 2021 – recommandation spécifique n°11 page 13).

L’atteinte doit être proportionnée au but légitime poursuivi

Il faut ainsi justifier d’une part que la preuve produite poursuit un but légitime, et d’autre part que l’atteinte à la vie privée ne dépasse pas ce qui est nécessaire pour permettre d’établir la réalité des faits à l’appui de ses prétentions.

La notion de but légitime

Un employeur peut ainsi mettre en avant un but légitime dans la nécessité d’assurer le secret de ses affaires. On peut relever l’existence de l’arrêt dit « Petit Bateau » (Cass. soc. 30-9-2020 n° 19-12.058 FS-PBRI) dans lequel la Haute Cour avait admis la production par l’employeur de l’extrait du compte Facebook d’une salariée pour prouver la divulgation sur Facebook de photos confidentielles de la nouvelle collection.

Dans un tout autre domaine, les juges ont admis que la protection des patients bénéficiant des soins des infirmières salariées d’un établissement de santé constitue un but légitime de l’employeur l’autorisant à produire des photos portant atteinte à la vie privée de ses salariées (Cass. soc. 4 octobre 2023 n° 21-25.452 F-D et 22-18.217 F-D). Il s’agissait pour l’employeur de prouver, via des photos et des échanges issus de la messagerie Facebook, que les faits qu’il invoquait pour motiver le licenciement pour faute grave de plusieurs infirmières étaient avérés : introduction et consommation d’alcool à plusieurs reprises, organisation d’activités festives durant le temps de travail ayant conduit à des mauvais traitements infligés à des patients, participation à une séance photo en maillot de bain sur le temps et le lieu de travail.

La notion d’atteinte nécessaire

Le rôle du juge consiste ici à vérifier que les éléments de preuve n’excèdent pas ce qui est strictement nécessaire au succès de la prétention de celui qui s’en prévaut.

Un exemple vient d’être donné de cette preuve nécessaire via des enregistrements de vidéosurveillance par la chambre sociale de la Cour de cassation le 14 février 2024 (arrêt n° 22-23.073 F-B): « Ayant constaté qu’il existait des raisons concrètes liées à la disparition de stocks, justifiant le recours à la surveillance de la salariée et que cette surveillance, qui ne pouvait pas être réalisée par d’autres moyens que la vidéo protection, avait été limitée dans le temps et réalisée par la seule dirigeante de l’entreprise, la cour d’appel a pu en déduire que la production des données personnelles issues du système de vidéosurveillance était indispensable à l’exercice du droit à la preuve de l’employeur et proportionnée au but poursuivi, de sorte que les pièces litigieuses étaient recevables »

La preuve déloyale et la preuve illicite ne seront donc plus systématiquement déclarées irrecevables mais que les conditions pour les produire dans un contentieux prud’hommal sont strictement encadrées. Le juge conserve un pouvoir souverain d’appréciation dans la « mise en balance du droit à la preuve et des droits antinomiques en présence ». Il devra déterminer le caractère proportionné, ou pas, de l’atteinte au droit fondamental de la partie adverse, sachant que la production d’une preuve déloyale ou illicite devra toujours rester un ultime et indispensable recours.

Les enregistrements clandestins seront très certainement une preuve qui sera produite par des salarié(e)s pour établir des faits laissant supposer l’existence des agissements de harcèlement moral, d’agissements sexistes liés assez souvent à des paroles, des comportements sans témoins.

Nul doute que des représentants du personnel et des employeurs seront extrêmement vigilants à l’occasion d’échanges informels, voire demanderont que l’ensemble des smartphones et ordinateurs soient éteints ! A bon entendeur…

099ans
Groupe Legrand
Newsletter mensuelle actualité des CSE

Recevez la newsletter mensuelle relayant l’actualité des CSE & les offres de nos partenaires

Trouver un fournisseur de CSE

Trouvez un fournisseur, prestataire de services spécialisé CSE recommandé par MémentoCSE