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Mise en disponibilité d’un représentant du personnel pendant une enquête : que dit le Conseil d’État ?

Être représentant du personnel, c’est défendre les droits des autres… mais cela n’exempte pas d’être, un jour, mis en cause soi-même.
Que faire lorsqu’un salarié protégé, habituellement à la table des négociations ou présent pour accompagner ses collègues, se retrouve au cœur d’une enquête interne, par exemple pour des faits présumés de harcèlement moral ? Peut-on l’écarter temporairement, sans porter atteinte à ses droits ?

Mise en disponibilité d’un salarié protégé

Une récente décision du Conseil d’État, rendue le 4 avril 2025, apporte un éclairage important : elle valide la possibilité de placer un salarié protégé en disponibilité rémunérée à titre provisoire, le temps de faire la lumière sur les faits.
Dans cet article, nous vous guidons pas à pas pour comprendre cette décision, ses implications concrètes pour les employeurs et les représentants du personnel, et les précautions à prendre pour agir dans le respect des règles… et des personnes.

Mise en disponibilité d’un salarié protégé : ce que dit le Conseil d’État

Peut-on écarter temporairement un salarié protégé pendant une enquête interne ?

Dans une décision marquante du 4 avril 2025 suprême (CE – 1ère chambres réunies, 04/04/2025, 489866), le Conseil d’État a confirmé la possibilité pour un employeur de placer temporairement un salarié protégé en disponibilité rémunérée, dans le cadre d’une enquête interne, notamment en cas d’accusations de harcèlement moral. Ce positionnement rejoint celui déjà adopté par la Cour de cassation en 2017 pour un salarié non protégé (Cass. soc., 8 mars 2017, n° 15-23.503).

Pourquoi cette décision est importante pour les employeurs et les élus du personnel ?

Si les représentants du personnel jouent un rôle crucial dans l’accompagnement des salariés en difficulté, ils ne sont pas à l’abri d’être eux-mêmes mis en cause. L’arrêt du Conseil d’État vient clarifier ce que peut faire un employeur lorsqu’un salarié protégé est suspecté de faits fautifs : il peut l’écarter temporairement de son poste sans pour autant enclencher immédiatement une procédure disciplinaire. Une nuance importante, qui soulève des questions pratiques : quelles sont les conditions à respecter ? Comment éviter toute erreur de procédure ? Quelles garanties pour le salarié concerné ?

Mise en disponibilité d’un salarié protégé pendant une enquête : une mesure encadrée et légitime

Lorsque des soupçons de harcèlement moral ou sexuel pèsent sur un salarié protégé, l’employeur est souvent face à un dilemme : comment protéger l’intégrité du collectif de travail sans enfreindre les droits d’un salarié bénéficiant d’un statut renforcé ? La jurisprudence récente du Conseil d’État apporte des éléments de réponse importants.

Qu’est-ce qu’un salarié protégé ? Un statut encadré par le droit du travail

Un salarié protégé est un salarié qui exerce un mandat représentatif ou institutionnel (membre du CSE, délégué syndical, conseiller prud’homal, etc.). Ce statut lui confère une protection renforcée contre le licenciement, notamment l’obligation pour l’employeur d’obtenir l’autorisation de l’inspection du travail avant toute rupture de contrat.

Cette protection vise à préserver l’indépendance des représentants du personnel, en les mettant à l’abri de potentielles représailles. En principe, toute mesure susceptible d’affecter la relation de travail, y compris une mise à pied conservatoire, est strictement encadrée, et dans certains cas, le CSE doit également être consulté.

📝 À noter : cette consultation n’est pas requise pour certains mandats spécifiques (délégués syndicaux, salariés mandatés, conseillers du salariés, défenseurs syndicaux, conseillers prud’hommaux et pour les candidats aux élections professionnelles, etc.), comme le rappelle la décision du Conseil d’État du 16 mai 2025 (confirmation récente du Conseil d’État, Chambres réunies, Décision nº 498924 du 16 mai 2025, Requête nº 25-289 bis)

Les obligations de l’employeur face aux faits de harcèlement

Dans son arrêt du 4 avril 2025, le Conseil d’État valide la possibilité de placer un salarié protégé en disponibilité provisoire rémunérée, sans que cela soit assimilé à une mise à pied conservatoire.

L’objectif est clair : permettre à l’employeur de mener une enquête interne dans un climat apaisé, en écartant temporairement la personne mise en cause — sans entamer une procédure disciplinaire formelle ni enclencher les délais administratifs spécifiques au statut protégé.

Ce raisonnement s’appuie sur les obligations de sécurité de l’employeur, inscrites à l’article L. 4121-1 du Code du travail, et renforcées par les articles L. 1152-4 et L. 1153-5 qui imposent des actions de prévention du harcèlement moral et sexuel.

⚖️ Rappel : lorsque les faits impliquent un salarié protégé, la jurisprudence interdit à l’employeur de le maintenir ou réintégrer dans une situation de harcèlement (moral (Cass. soc., 1er déc. 2021, n° 19-25.715), ou sexuel (Cass. soc., 8 janv. 2025, n° 23-12.574).

Mise en disponibilité ou mise à pied conservatoire : bien comprendre la différence

Il est essentiel de ne pas confondre ces deux mesures, qui n’ont ni le même objectif ni les mêmes conséquences juridiques.

La mise en disponibilité provisoire : une mesure temporaire et non disciplinaire

  • Objectif : garantir la sérénité de l’enquête interne.
  • Durée : courte, limitée à la période d’investigation.
  • Rémunération : le salarié continue à percevoir son salaire.
  • Effet juridique : n’entraîne pas le déclenchement des délais pour saisir l’inspection du travail.

La mise à pied conservatoire : un acte préparatoire à une sanction

  • Objectif : écarter un salarié dans le cadre d’une procédure disciplinaire engagée.
  • Effet juridique : déclenche un délai strict pour saisir l’inspecteur du travail (articles R. 2421-6 et R. 2421-14 du Code du travail).
  • Consultation du CSE : requise dans certains cas.

En résumé : la mise en disponibilité rémunérée d’un salarié protégé pendant une enquête interne est légale si elle reste provisoire, motivée et bien encadrée. Elle ne se substitue pas à la mise à pied conservatoire mais en constitue parfois un préalable nécessaire pour sécuriser les étapes suivantes.

Quelles sont les conditions pour mettre un salarié protégé en disponibilité provisoire ?

Le Conseil d’État a clarifié les conditions dans lesquelles un employeur peut temporairement écarter un salarié protégé dans le cadre d’une enquête interne, sans enfreindre la protection attachée à son statut. Mais attention : cette mesure ne peut se justifier que si elle répond à des critères stricts, tant sur la forme que sur le fond.

Pas de modification durable du contrat de travail – Caractère temporaire et rémunéré

La mise en disponibilité provisoire n’est pas une sanction. Pour que la mise en disponibilité provisoire soit valable, elle doit être temporaire, limitée dans le temps, et surtout sans impact durable sur le contrat de travail. Cela signifie notamment :

  • Maintien intégral de la rémunération du salarié concerné ;
  • Durée raisonnable et strictement liée au temps nécessaire pour mener l’enquête ;
  • Absence de modification des fonctions, du statut ou du poste.

🧾 Dans l’affaire jugée le 4 avril 2025, la salariée avait été mise en disponibilité pendant 5 jours, entièrement rémunérés, ce qui a été jugé conforme. Dans un arrêt antérieur de la Cour de cassation (8 mars 2017, n° 15-23.503), la même logique s’appliquait à un salarié non protégé écarté pendant 3 jours.

Une mesure strictement liée à l’enquête interne

La mise en disponibilité ne peut servir de prétexte à écarter un salarié gênant. Elle doit exclusivement viser à préserver la qualité de l’enquête interne en évitant toute pression sur les témoins ou perturbation dans l’équipe.

Dans l’affaire tranchée par le Conseil d’État, la salariée, conseillère prud’homale, a été provisoirement écartée après des signalements de harcèlement moral. La mesure a été prise pour faciliter la conduite sereine d’une enquête paritaire, déclenchée suite à l’exercice du droit d’alerte prévu par l’article L. 2312-59 du Code du travail.

📌 Bon à savoir : dans le cadre d’un droit d’alerte pour danger grave, les représentants du personnel peuvent exiger une réponse immédiate de l’employeur. Une enquête interne conjointe peut alors être menée pour évaluer la situation.

Pour aller plus loin sur la notion de harcèlement et le rôle des élus du CSE, notamment dans le cadre d’enquêtes conjointes suite au déclenchement d’un droit d’alerte, téléchargez le livre blanc Agir face au harcèlement

Interdiction de toute sanction déguisée

La mise en disponibilité ne peut remplacer ou anticiper une sanction. Elle doit précéder formellement toute procédure disciplinaire, sans quoi elle risquerait d’être requalifiée.

Dans la décision du Conseil d’État :

  • La disponibilité a été prononcée en amont de toute procédure disciplinaire ;
  • Elle a ensuite été suivie d’une mise à pied conservatoire, cette fois marquant le début officiel de la procédure.

Cela confirme que l’enchaînement des mesures a son importance : la disponibilité vise à évaluer objectivement les faits, et non à sanctionner sans fondement.

✅ En résumé :
✔️ Durée courte et raisonnable
✔️ Rémunération maintenue
✔️ Motivation liée exclusivement à l’enquête
✔️ Antérieure à toute sanction disciplinaire

Ces conditions sont indispensables pour sécuriser juridiquement la mise en disponibilité d’un salarié protégé. C’est un équilibre subtil entre protection des salariés et obligation de prévention pour l’employeur.

Quelles sont les implications pratiques pour les employeurs face à une mise en disponibilité d’un salarié protégé ?

Si l’arrêt du Conseil d’État du 4 avril 2025 confirme la possibilité de mettre en disponibilité provisoire un salarié protégé dans le cadre d’une enquête interne, il rappelle aussi que cette pratique doit respecter un certain formalisme juridique, notamment en ce qui concerne les délais et le contrôle du juge.

Respect des délais de procédure : un point de vigilance essentiel

Quand commence réellement le délai pour saisir l’inspecteur du travail ? L’un des enseignements majeurs de cette décision est le suivant : la mise en disponibilité provisoire ne déclenche pas le délai de saisine de l’inspection du travail. Ce n’est qu’à compter de la mise à pied conservatoire, qui marque l’ouverture de la procédure disciplinaire, que le délai légal commence à courir.

🗓 Dans l’affaire analysée :

  • 22 février : la salariée est mise en disponibilité provisoire, le temps de l’enquête interne ;
  • 26 février : fin de l’enquête ;
  • 8 mars : notification de la mise à pied conservatoire avec convocation à un entretien préalable ;
  • 22 mars : saisine de l’inspectrice du travail ;
  • 11 mai : autorisation de licenciement accordée.

Cet enchaînement rigoureux montre qu’il est tout à fait possible de dissocier la phase d’enquête de la procédure disciplinaire, sans risquer d’entacher la régularité du processus.

Délais dépassés : que se passe-t-il en cas de retard ?

Un dépassement peut être toléré… s’il reste raisonnable

Contrairement à une idée reçue, le non-respect strict du délai n’entraîne pas automatiquement la nullité de la procédure. La jurisprudence du Conseil d’État admet une certaine souplesse, à condition que le dépassement soit justifié et non excessif.

📌 Dans l’affaire du 4 avril 2025, l’employeur avait dépassé de six jours le délai prévu pour la saisine. Ce retard a été considéré comme acceptable, au regard de nouveaux éléments communiqués le 20 mars, qui nécessitaient un complément d’enquête.

Cette position fait écho à une décision antérieure (Conseil d’État, 4ème – 1ère chambres réunies, 27/02/2019, 413556), où le juge avait déjà validé un dépassement non excessif.

💡 Conseil pratique : documentez systématiquement les raisons d’un éventuel délai supplémentaire pour anticiper toute contestation.

Le contrôle du juge : distinguer enquête interne et sanction déguisée

En cas de contentieux, les juges ne se contentent pas des intitulés : ils examinent la réalité des faits pour vérifier que la mise en disponibilité n’est ni une sanction déguisée, ni une mise à pied conservatoire maquillée.

Le Conseil d’État procède ainsi à un contrôle de qualification pour déterminer si les conditions de légalité sont bien réunies : durée raisonnable, absence d’impact sur la rémunération, finalité exclusivement liée à l’enquête.

✅ Dans le cas étudié, les juges ont validé la mesure car elle remplissait toutes les conditions de fond exigées.


⚖️ En résumé :

  • La mise en disponibilité n’entraîne pas le début du délai de saisine de l’inspection du travail.
  • Un léger dépassement de délai peut être toléré, à condition qu’il soit justifié.
  • En cas de litige, le juge analysera la nature réelle de la mesure pour détecter toute dérive.

Conséquences pratiques et vigilance pour les employeurs

Si la mise en disponibilité provisoire d’un salarié protégé est désormais juridiquement reconnue, elle ne doit en aucun cas être improvisée. Pour éviter tout risque de requalification ou de contentieux, les employeurs doivent faire preuve de rigueur. Et les représentants du personnel ont tout intérêt à rester vigilants sur le respect des droits fondamentaux du salarié concerné.

Documenter rigoureusement la mesure provisoire

Chaque étape de la mise en disponibilité provisoire doit être documentée : la décision de l’employeur, ses motivations, le contexte (signalement de harcèlement, déclenchement d’un droit d’alerte, nécessité d’une enquête paritaire), la durée de la mesure et les conditions de rémunération.

Cette traçabilité écrite permet non seulement de justifier la légitimité de la mesure en cas de litige, mais aussi de démontrer que l’employeur a agi dans un cadre non disciplinaire, respectueux des droits du salarié protégé.

📄 Conseil pratique : consignez tous les échanges, les décisions et les étapes de l’enquête dans un dossier dédié. Cette rigueur peut faire la différence devant les juridictions.

Communiquer clairement avec le salarié concerné

L’employeur doit informer le salarié par écrit, de préférence par courrier recommandé avec accusé de réception ou remise en main propre contre signature, afin de prouver la date et le contenu de la notification.

Ce courrier doit préciser :

  • le caractère provisoire de la mise en disponibilité ;
  • le maintien de la rémunération ;
  • les raisons de la mesure, liées au besoin de préserver l’intégrité de l’enquête et le climat de travail ;
  • l’absence de nature disciplinaire de la décision.

🗣️ Une bonne communication limite les tensions et réduit le risque de contentieux. Elle montre aussi que l’employeur agit dans une logique de prévention et de protection.

Garantir les droits fondamentaux du salarié protégé

Même en cas de mise en cause, le salarié protégé doit continuer à percevoir l’intégralité de sa rémunération pendant la durée de la mise en disponibilité. Toute mesure qui priverait le salarié de ses droits contractuels pourrait être requalifiée en sanction déguisée, avec les conséquences juridiques que cela implique.

📌 Dans les affaires récentes portées devant le Conseil d’État ou la Cour de cassation, le respect du droit à rémunération a été un critère décisif pour valider la régularité de la mesure provisoire.

✅ En résumé :

  • Tracez chaque étape de la décision dans un dossier d’enquête bien structuré ;
  • Informez clairement et formellement le salarié concerné ;
  • Assurez le maintien intégral de ses droits, notamment financiers.

Ces précautions s’imposent à l’employeur, mais elles sont également des repères clés pour les élus du personnel, qui doivent pouvoir vérifier que la mise en disponibilité respecte l’esprit protecteur du droit du travail.

🧭 Ce qu’il faut retenir : encadrer la mise en disponibilité d’un salarié protégé pendant une enquête interne

La décision du Conseil d’État du 4 avril 2025 constitue un tournant important pour les employeurs comme pour les représentants du personnel. Elle reconnaît que l’on peut, dans certaines conditions, écarter temporairement un salarié protégé dans le cadre d’une enquête interne pour harcèlement moral, sans nécessairement engager immédiatement une procédure disciplinaire.

Cette mise en disponibilité provisoire, à condition d’être rémunérée, documentée, limitée dans le temps et clairement non disciplinaire, offre un levier de gestion préventive pour protéger le collectif de travail tout en respectant les droits du salarié concerné.

📌 À ne pas oublier :

  • La mesure ne doit pas modifier durablement le contrat de travail ;
  • Elle doit précéder toute procédure disciplinaire ;
  • Elle ne déclenche pas les délais de saisine de l’inspection du travail (contrairement à la mise à pied conservatoire) ;
  • Le respect du dialogue, de la traçabilité et de la rémunération est indispensable.

⚖️ Pour les employeurs, cela implique une grande rigueur procédurale et une vigilance juridique constante.

👁️‍🗨️ Pour les représentants du personnel, c’est un point de vigilance essentiel dans la défense des droits des salariés protégés : la frontière entre précaution et sanction déguisée peut être mince.

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