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Refuser les apéros “fun et pro” de l’entreprise = liberté d’expression !

Alors que ce début d’année est pour certains synonyme de “Dry January” ou “mois de janvier sans alcool”, une affaire récente jugée par la Cour de cassation le 9 novembre dernier (n°21-15.208) permet de mettre en lumière les limites au pouvoir de l’employeur d’imposer des apéros hebdomadaires !
Il est ici question de liberté d’opinion et d’expression que les salariés et les représentants du personnel peuvent afficher pour faire annuler par voie de justice des sanctions et licenciements de salariés qui refuseraient les « valeurs » d’une entreprise liées à l’imprégnation d’alcool sans bornes…
En conclusion de cette newsletter vous trouverez un focus sur les droits et moyens d’action des élus du CSE vis-à-vis d’atteintes aux droits et libertés des salariés pour envisager une intervention avant une action en justice. L’occasion de faire un point sur une décision récente défavorable par la Cour de cassation du régime des heures consacrées à la réunion convoquée dans ce cadre… et les moyens de la contourner.

Apero bureau

Conséquences et dérapages liés à des apéros hebdomadaires sans limites

Si les apéros entre collègues et évènements organisés par les entreprises sont, parfois, des bonnes occasions pour partager des moments festifs, il en est tout autre lorsque ces apéros deviennent régulièrement des scènes de débauche et d’immixtion dans la vie privée des salariés.

C’est dans ce contexte qu’un cadre a critiqué et refusé la « culture de l’apéro » basée sur la valeur « fun et pro » vantée sur le site internet de l’entreprise.

Cette dernière se traduisait par la « nécessaire participation » à des apéros hebdomadaires, au cours desquels de très grandes quantités d’alcool étaient mises à disposition des salariés, encouragés par les associés à consommer de manière excessive. Ces apéros étaient également le théâtre de « pratiques prônées par les associés liant promiscuité, brimades et incitation à divers excès et dérapages ». A l’occasion de ces apéros, les salariés étaient également invités à partager des « passions personnelles ».

Le salarié contestataire est licencié pour insuffisance professionnelle.

Le licenciement était en partie fondé « sur le comportement critique du salarié et son refus d’accepter la politique de l’entreprise basée sur le partage de la valeur « fun & pro ». La cour d’appel avait alors jugé que les reproches faits au salarié sur sa rigidité, son manque d’écoute, son ton parfois cassant et démotivant vis-à vis de ses subordonnés et son impossibilité d’accepter le point de vue des autres, constituent des critiques sur son comportement professionnel qui pouvaient justifier un licenciement sans que soient remises en cause ses opinions personnelles.

Le CSE alerte afin que le respect de la liberté d’expression et d’opinion du salarié soient respecté

Le licenciement est cependant jugé nul par la Cour de cassation car portant atteinte à la « liberté d’expression et d’opinion » du salarié.

En effet, sauf abus, le salarié jouit, dans l’entreprise et en dehors de celle-ci, de sa liberté d’expression. Le licenciement prononcé par l’employeur pour un motif lié à l’exercice non abusif par le salarié de cette liberté est nul (Cass. soc. 16 fév. 2022 n° 19-17.871).

Restait alors à savoir si les critiques portées sur la politique de l’entreprise, ses « valeurs » et méthodes de management sont un non-respect des obligations professionnelles ou l’exercice de la liberté d’expression.

Pour la Cour de cassation, le comportement critique du salarié et son refus d’accepter la politique de l’entreprise basée sur le partage des valeurs « fun and pro », mais aussi l’incitation à divers excès, participent bien de sa liberté d’expression et d’opinion.

La critique des valeurs de l’entreprise entre bien dans le champ de la liberté d’expression au même titre que la possibilité pour le salarié d’exprimer une opinion et de tenir des propos sur l’organisation et le fonctionnement de l’entreprise, dès lors que la critique n’est pas abusive (par exemple, Cass. soc. 24 sept. 2013 n° 12-13.537).

En conséquence, en l’absence d’abus dans l’exercice de cette liberté, le licenciement fondé, en partie, sur ce motif viole les principes de protection de la liberté d’expression (voir déjà en ce sens Cass. soc. 29 juin 2022 n° 20-16.060).

Or, en cas de violation de la liberté d’expression, le licenciement est jugé nul. Mais attention, la nullité n’impose pas à l’entreprise à réintégrer le salarié « lorsque le salarié ne demande pas la poursuite de l’exécution de son contrat de travail ou que sa réintégration est impossible » (article L. 1235-3-1 du Code du travail). Dans cette hypothèse, « le juge lui octroie une indemnité, à la charge de l’employeur, qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois » (cad fonction du ou des préjudices subis) à la différence d’un licenciement jugé « sans cause réelle et sérieuse », lequel entraîne le seul versement d’une indemnité plafonnée, fonction de l’ancienneté du salarié.

Dans cette affaire, la Cour de cassation décide de renvoyer à la cour d’appel le soin de rejuger le dossier, dans lequel le salarié demande sa réintégration et 460 000€ d’indemnité. La convivialité ne s’impose pas, la pratique des open bar n’est pas non plus une valeur incontestable, elle peut même coûter bien plus cher que les apéros eux-mêmes !

Par ailleurs ces pratiques incitant à la consommation d’alcool pourraient mettre en jeu l’obligation de sécurité de l’employeur, cette dernière étant en principe interdite sur le lieu de travail (C. trav. art. R 4228-21).

Soyez donc libre de déguster une galette des rois sans boire d’alcool 😉

Zoom sur le rôle des élus du CSE en cas d’atteinte aux droits des personnes ou aux libertés individuelles

L’article L.2312-59 du Code du travail dispose que si un membre du CSE constate, notamment par l’intermédiaire d’un salarié, « qu’il existe une atteinte aux droits des personnes, à leur santé physique et mentale ou aux libertés individuelles dans l’entreprise qui ne serait pas justifiée par la nature de la tâche à accomplir, ni proportionnée au but recherché, il en saisit immédiatement l’employeur […]
L’employeur procède sans délai à une enquête avec le délégué et prend les dispositions nécessaires pour remédier à cette situation.
En cas de carence de l’employeur ou de divergence sur la réalité de cette atteinte, et à défaut de solution trouvée avec l’employeur, le salarié, ou le délégué si le salarié intéressé averti par écrit ne s’y oppose pas, saisit le bureau de jugement du conseil de prud’hommes qui statue selon la procédure accélérée au fond.
Le juge peut ordonner toutes mesures propres à faire cesser cette atteinte et assortir sa décision d’une astreinte qui sera liquidée au profit du Trésor. »

Les alertes peuvent être déclenchées par des élus du CSE sur des hypothèses variées : harcèlement moral, harcèlement sexuel, discriminations, atteinte à la vie privée…

Dans l’affaire qui fait l’objet du présent article, le droit au respect de la vie privée est en jeu avec l’invitation à partager ses « passions personnelles », de même que la violation d’une liberté fondamentale, la liberté d’expression.

Un ou des élus du CSE auraient ainsi pu intervenir, avant toute procédure de licenciement à l’encontre d’un salarié, pour déclencher un droit d’alerte visant à obtenir la cessation de ces pratiques ne respectant pas les droits des personnes et les libertés individuelles.

Attention à ne pas vous tromper dans les objectifs recherchés : l’alerte ne permet pas à un membre du CSE d’agir en nullité des licenciements prononcés mais vise à saisir le juge de demandes de mesures propres à faire cesser les atteintes par l’employeur aux droits des personnes ou aux libertés individuelles. Par ailleurs, aucune mesure de ce type ne peut être envisagée lorsque le salarié n’est plus dans l’entreprise (Cass. soc., 10 déc. 1997, n° 95-42.661 ; Cass. soc., 3 nov. 2010, n° 09-42.360).

Point important clarifié le 9 novembre dernier par la chambre sociale de la Cour de cassation (arrêt n° 21-16.230) : le temps passé par les membres de la délégation du personnel au CSE à l’exercice de leur droit d’alerte en cas d’atteinte aux droits des personnes s’impute sur leur crédit d’heures de délégation, y compris le temps de réunion convoquée par l’employeur !

Cette solution désavantageuse pour les élus pourrait selon nous être contournée : les membres du CSE pourraient effectuer une véritable demande de réunion extraordinaire, sur la base de l’article L.2315-28 du Code du travail (attention alors aux accords moins-disant), accompagnant le déclenchement de l’alerte, puisque celle-ci n’est pas limitée à une forme précise, obligeant ainsi l’employeur à tenir une réunion plénière sur le cas exposé, avec la prise en charge du temps et des frais associés.

C’est, en définitive, toute l’histoire du CSE qui se trouve résumée dans cet arrêt : des contraintes de moyens imposées aux élus, obligent à rechercher des solutions pour résoudre des problèmes fondamentalement mineurs pour l’employeur (il s’agissait en l’occurrence de 4 heures de travail !), parasitant la vraie question qui est celle de la défense des droits et libertés fondamentaux des salariés confrontés, dans ce cas, à des violences inacceptables.

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